BLITZ!

Bonus BLITZ ! N^o 13

Interview Solitude Fx (Marc Schaffer)

Marc Patrick Schaffer est un homme très occupé. Après avoir fondé le groupe néo-romantique Endphase, dont les enregistrements, effectués de 1996 à 2001, viennent d´être réédités en cassette audio sur le label allemand tutrur (www.tutrur.com), il a créé Solitude Fx et Solitairen Effekten, duos synth pop où son ami Orpheo assure le chant.
Marc est aussi membre de Twins Natalia (avec Dave Hewson de Poeme Electronique et Techno Twins entre autres) et Shibuya Station, projet solo qui accueille des musiciens invités.
Toute cette activité ne l´empêche pas de gérer le label Anna Logue Records, spécialisé dans la synth wave minimale, qui fête ses 10 ans en 2015. Marc a bien voulu répondre aux questions de BLITZ! et nous vous livrons ci-après le résultat.

Blitz! : Tout d´abord, merci d´avoir accepté cet entretien qui nous permettra de faire (re)découvrir votre travail aux lecteurs de notre webzine.
L´album >I<, que vous avez enregistré sous le nom d´Endphase entre 1996 et 2001, est absolument magnifique, avec des mélodies parfois bouleversantes qui donnent pourtant envie de danser.
Il incarne tout à fait le renouveau de la vague minimale en Allemagne.
Pouvez-vous nous préciser le contexte dans lequel ces morceaux ont été composés ? Après la réédition en K7, seront-ils réédités prochainement au format CD ou vinyle ?

Marc Schaffer : Merci pour tes paroles flatteuses ! Je collectionnais les disques de synth wave et d´électronique minimale des années 80, mais c´est le groupe britannique Current 93 qui m´a donné l´envie de créer ma musique. Même si j´avais un cercle de bons amis, j´étais en quelque sorte un loup solitaire, plutôt introverti et mélancolique, pas vraiment à ma place dans cette époque, et je me réfugiais dans la musique. Donc, après avoir joué de la guitare ou de la basse dans plusieurs groupes, j´ai commencé à enregistrer mes propres morceaux avec un synthétiseur Kawai et un clavier Yamaha que j´avais empruntés. J´ai ensuite acheté mon propre synthétiseur, un Korg Poly-61, et la boîte à rythmes Roland TR-808, la meilleure qui ait jamais existé (photo ci-dessous). J´ai alors formé avec Orpheo mon projet de longue durée, Solitude Fx / Solitairen Effekten.

Il est vrai qu´à cette époque il n´y avait pas beaucoup de groupes, mais, en fin de compte, je voulais juste enregistrer mes idées et donner une direction à mes émotions. Je considère la musique comme très intime, et la mienne n´avait pas vocation à sortir sur un disque officiel. Des auditeurs s´y retrouvent, car ma musique est honnête et simple. Cette pensée me rend fier, tout comme l´intérêt des maisons de disques. Actuellement, il n´est pas prévu de rééditer les morceaux d´Endphase sur vinyle ou CD, mais toute personne intéressée pour le faire peut me contacter sans hésitation.

Blitz! : L´utilisation des synthétiseurs ou claviers (Korg Poly-61, Kawai K1, Yamaha PSR-6300, petits claviers Casio notamment) est récurrente dans votre œuvre. Quels artistes ou groupes citeriez-vous comme influences majeures et que pensez-vous des travaux des groupes de synth pop actuels qui utilisent des instruments « modernes » ?

Marc Schaffer : Je préfère tout simplement le son analogique au numérique. Son esthétique me convient davantage. Comme influence majeure, je citerais l´album de 1982 de Rational Youth « Cold War Night Life » (la TR-808 est présente et chaque son est parfait), ainsi que « Geography » de Front 242, les débuts de The Klinik et consorts, moins mélodiques que moi probablement. J´ajoute donc Kraftwerk et Orchestral Manœuvres in the Dark à la liste. Mais finalement je crois avoir défini mon propre chemin avec un contenu plutôt mélodique/mélancolique qui vient de l´intérieur et prend la plus grande part.

Je crois que chaque groupe a le droit d´exister et d´utiliser le son qui lui plaît, je ne suis pas obligé de tous les aimer. En ce qui concerne les groupes de synth pop, souvent je n´aime pas le son ni l´atmosphère, ni les chanteurs, mais cela est dû au fait que je préfère un son plus brut. Je me suis réjoui de l´apparition d´artistes aussi talentueux que Sean McBride (Martial Canterel/Xeno & Oaklander), avec d´autres qui seraient trop nombreux à citer.

Blitz! : Avec Solitude Fx, vous avez développé un réel talent pour trouver des mélodies capables d´émouvoir l´auditeur au plus profond de son être, en particulier sur « Heartbreak Hotel », « Communication Error#5 », « Experiment Pt.1 » et « Home is where the fart is » sur « Demos I », ou encore « Romeo & Juliet Pt. 2 » et « Alright » sur « Demos II ». Quel est le secret de votre inventivité ?

Marc Schaffer : Je n´ai pas de secret, cela vient de l´intérieur et de la manière dont je compose les chansons. Je commence avec le modèle rythmique et je joue ensuite une séquence de basse avec la main gauche et la mélodie avec la main droite. J´enregistre l´idée une fois qu´elle me plaît et Orpheo y ajoute les paroles et les lignes vocales. Je ne sais pas faire autrement, je ne voudrais pas composer avec un logiciel, c´est très instantané.

Au fait, le nom Solitude Fx remonte à l´époque où j´étais étudiant à l´université. Je me sentais totalement déplacé, très seul et incapable de communiquer avec les gens. Donc le nom du groupe peut traduire ce qui arrive à une personne qui se sent seule, et ce que cette situation lui apporte, sur le plan des sentiments ou du caractère, toujours en quête du véritable amour. Je suis heureux d´avoir pu tourner ces sentiments en quelque chose de constructif, plutôt qu´en dépression, ou pire.
Actuellement, je suis marié, j´ai presque deux douzaines de chiens et je suis heureux, mais ce paysage intérieur continue d´exister. Cela ne m´inquiète pas, car c´est ainsi que mon caractère s´est forgé. Je crois que j´écrirai ce type de chansons jusqu´à ma mort, sans me préoccuper du fait que le nom du groupe ne correspondra plus à rien.

Blitz! : Sur « Demos II », le titre « Die Gättin » apporte une ambiance différente et sonne comme de l´electronic body music, à la manière de DAF. Ce morceau était-il destiné aux clubs ?

Marc Schaffer : Non, nous n´avons jamais enregistré une chanson dans un but précis, et nous ne nous attendions pas à être diffusés en clubs ou dans des spectacles. Les chansons ont été enregistrées au moment de leur création. Puisque tu parles de DAF, j´ai adopté la manière de jouer de la batterie de Robert Görl sur « Zeitgeist Overkill », mais il s´agit uniquement d´un hommage.

Blitz! : Deux titres ont retenu notre attention sur « Demos III », ce sont « Bratar rendor resto maki » et « Parsifal (The Prince of Time) ». La première est chantée, sauf erreur, en langue albanaise et la seconde évoque un chevalier des légendes arthuriennes. Qu´évoquent pour vous ces morceaux ?

Marc Schaffer : « Bratar rendor resto maki » n´est pas de l´albanais, mais une suite d´onomatopées, un langage fantaisiste créé par Orpheo pour cette chanson. Pour « Parsifal », je dirai qu´Orpheo est le fils d´un couple d´artistes (peintres, sculpteurs, professeurs d´art). Il est très intéressé par l´art, les mythes, le romantisme. Il dispose d´une liberté totale pour les paroles et j´ai toujours été satisfait de ses idées, paroles et harmonies vocales. Il transforme une chanson basique en quelque chose de nouveau, ou l´amène à un autre niveau, où la musique et les vocaux ont la même importance ou le même impact, et peuvent s´unir harmonieusement.

Blitz! : Vos titres instrumentaux sont particulièrement réussis (« Release me » et « Face in the mirror », sur l´album d´Endphase, parmi beaucoup d´autres) . Avez-vous déjà réalisé la bande-sonore d´un film ? Envisagez-vous de le faire prochainement ?

Marc Schaffer : Pour être franc, entre mon travail quotidien, mon refuge pour chiens, mon label Anna Logue Records, la vente de disques par correspondance, et mon épouse, j´ai eu très peu de temps pour enregistrer mes titres ces dernières années, alors je suis toujours surpris de voir que les gens apprécient ces vieilles démos à ce point (je pense qu´elles sont plutôt émouvantes que réussies sur le plan technique ou professionnel). Je vais maintenant prendre le temps de réenregistrer de vieilles démos et d´enregistrer de nouvelles idées pour Solitude Fx / Solitairen Effekten, Twins Natalia (avec Steve Lippert, de Poeme Electronique) et Shibuya Station (projet solo avec des chanteurs invités), sans changer le son ni l´ambiance, mais en étant plus précis et changeant dans la structure des morceaux. Alors même si l´on me sollicitait, je crains de ne pouvoir trouver le temps pour un projet de plus.

Blitz! : L´actualité de Solitude FX, c´est bien sûr la réédition (limitée à 300 exemplaires) au format vinyle de 10 de vos titres sur le label néerlandais Enfant Terrible. Quelles raisons ont motivé le choix de ce label, de préférence à une autoproduction via Anna Logue Records ?

Marc Schaffer : Comme je l´ai déjà dit, j´ai toujours considéré mes enregistrements comme des « idées enregistrées », des chansons inachevées et non destinées à une sortie officielle, donc je n´aurais pas pu les sortir moi-même. Les gens d´Enfant Terrible m´ont convaincu que ces titres évoquaient quelque chose de particulier pour eux et qu´il y aurait des amateurs pour les acheter. J´ai accepté que l´on essaie. Ce n´est pas moi qui décide des goûts des gens, alors s´ils aiment ces morceaux je dirai que c´est merveilleux.

Blitz! : Allez-vous profiter de cette réédition pour partir en tournée ? Si tel est le cas, avez-vous prévu de passer par la France, et à quelle date ? Soyez certain que nous serons prêts pour partager avec vous ce moment d´inventivité et de beauté.

Marc Schaffer : Il est très difficile de jouer sur scène pour nous car cela exige de la préparation et des voyages, en d´autres termes du temps, et c´est précisément ce dont je manque le plus. J´aurais également aimé pouvoir offrir un ensemble de morceaux revisités, ce que je n´ai pas pu faire encore. Comme je l´ai dit, je vais travailler sur des ré-enregistrements et de nouvelles chansons. Nous avons une première date en Allemagne en août 2015, donc nous pourrions aussi aller dans d´autres villes. Nous suscitons l´intérêt en Allemagne, Autriche, Espagne et France, alors si quelqu´un peut organiser une petite tournée, ce sera merveilleux.

Merci à toi de m´avoir donné l´occasion de parler de ma musique et peut-être que nous nous rencontrerons lors d´un prochain concert dans ta ville !

Propos recueillis par le Général Hiver