En cet été 2012 où The Cure se produit durant une tournée européenne très fournie, il nous a semblé intéressant de retourner à la période charnière que constituent, pour les musiques que BLITZ! entend promouvoir, la fin des années 1970 et le début des années 1980.
Le premier album de The Cure, « Three imaginary boys », sort le 8 mai 1979. Parfaitement dans la mouvance post-punk, il comprend quelques morceaux fameux tels « Object », qui peut évoquer les Buzzcocks, ou « 10 :15 Saturday night », qui conte l’étrange histoire d’un homme assis dans son évier, et « Foxy Lady », reprise du titre de Jimi Hendrix, l’une des grandes influences de Robert Smith, le leader du groupe. The Cure se compose alors d’un trio : Robert Smith (guitare et voix), Lol Tolhurst (batterie), Michael Dempsey (basse). Les trois musiciens se connaissent de longue date, leur amitié remonte en effet aux années de collège.
Dès juillet 1979, leurs relations se dégradent. En effet, Michael Dempsey semble peu apprécier l’évolution du son du groupe et Robert Smith initie des projets parallèles avec des amis qui vivent à Crawley et Horley. Il se lie d’amitié avec Simon Gallup, bassiste d’un groupe local, qui connaît Lol Tolhurst depuis longtemps. Simon remplacera Michael Dempsey pour assurer dorénavant le jeu de basse de The Cure.
En novembre 1979, le groupe, auquel s’est ajouté Matthieu Hartley, l’ex-claviériste des Magspies et coiffeur de formation, joue son premier concert à 4 à l’Eric’s de Liverpool. Entre-temps, Chris Parry, patron du label Fiction auquel The Cure restera fidèle de nombreuses années, a présenté Steve Severin, bassiste de Siouxsie and the Banshees, à Robert Smith, lors d’un concert de Throbbing Gristle. Les deux musiciens sont sur la même longueur d’ondes. D’après Severin, The Cure devrait s’orienter vers un son plus radical et des ambiances plus sombres que celle des titres post-punks de ses origines.
Après une pause de quelques semaines à Noël, le début de l’année 1980 voit The Cure s’enfermer dans les studios d’enregistrement pour son second album. Smith désire qu’il soit plus sombre, plus atmosphérique et moins pop que son prédécesseur. Il a d’ailleurs fait écouter les démos à Dempsey, à qui elles n’ont pas plu. Grâce aux trouvailles de Mike Hedges, l’ingénieur du son du Morgan Studio One de Londres, l’ambiance est ténébreuse et minimaliste, et la batterie résonne d’une sécheresse novatrice. Il est vrai que la scène musicale de cette année 1980 est marquée par des événements marquants, comme le suicide d’Ian Curtis (Joy Division), la sortie du second album de Joy Division, « Closer », ou le formidable « Scary Monsters » de David Bowie, qui comprend notamment « Ashes to ashes ».
Le 22 avril 1980 marque la sortie de l’album « Seventeen seconds ». Dès le premier morceau, l’instrumental « A reflection », il est évident que le minimalisme froid sera la tonalité dominante du disque. A cette époque, Robert Smith se nourrit d’influences diverses, parmi lesquelles l’album « Low » de David Bowie, mais aussi Van Morrison ou Jimi Hendrix.
Le second morceau s’intitule « Play for today ». Si les paroles traitent de problèmes relationnels, la mélodie et la rythmique dansante sont fortement influencées par la new wave typique de l’époque. Toutefois, Smith ajoute ses parties de guitare, très fluides et variées.
L’album « Seventeen seconds » est une uvre tout en nuance, à écouter de préférence pendant la nuit. Il se termine en douceur, avec le morceau éponyme, à la manière dont il avait débuté. Son charme réside dans sa simplicité et son minimalisme.
Le titre le plus formidable de ce disque est l’époustouflant « A forest », dont il fut le premier single. La voix de Smith se fait légèrement désespérée, la batterie au son immédiatement identifiable est soutenue par l’efficace jeu de basse de Gallup. Le texte est marqué de nihilisme : à la recherche d’une fille, le personnage central s’égare dans une forêt. La fille n’était qu’une illusion, et le protagoniste malheureux ne court qu’en direction du néant.
La tournée qui suivra la sortie de l’album sera exténuante et génératrice de tensions entre les musiciens. Matthieu Hartley quittera le groupe dès l’arrivée de l’été 1980.
L’ambiance morose et atmosphérique de « Seventeen seconds » ne l’a pas empêché de se classer dans les 20 premiers albums au Royaume-Uni.
Pour le prochain disque de The Cure, Robert Smith entend conserver les textures sombres, bien ancrées dans cette époque qui voit « Closer » et « Love will tear us apart » de Joy Division se classer remarquablement dans les charts.
Après une tournée en Europe du Nord, puis plusieurs dates en Grande-Bretagne, The Cure, désormais configuré en trio, retourne dans les studios Morgan en février 1981 pour enregistrer les titres de « Faith », le nouvel album, qui verra le jour en avril malgré les difficultés relationnelles entre Smith et les autres membres du groupe, ainsi qu’avec Mike Hedges, l’ingénieur du son. Il est vrai que le contexte familial des musiciens n’est pas au beau fixe : Smith a récemment perdu sa grand-mère et la mère de Lol Tolhurst est très malade. Le titre de l’album a peut-être été suscité par le désir de Smith de mesurer sa foi catholique à l’épreuve de ces moments tristes.
« Faith » sort donc le 11 avril 1981. Il s’ouvre avec un morceau sombre, intitulé « The holy hour », dont Smith affirme avoir écrit les paroles durant une messe célébrée à Crawley. La thématique chrétienne est très présente : « I kneel and wait in silence / as one by one the people slip away », « I sit and listen dreamlessly / a promise of salvation makes me stay”.
Le second titre de l’album est « Primary », qui était d’ailleurs sorti en single dès le 27 mars. Sa superbe ligne de basse, associée à un son de batterie presque industriel, fait oublier les paroles assez obscures que Smith expliquera 10 ans plus tard en précisant que cette chanson avait été inspirée par l’idée de mourir très jeune, innocent et pendant un rêve.
Le troisième morceau, « Other voices », emprunte son titre à un roman de Truman Capote, « Other voices, other rooms ». Il est ici question de plaisirs interdits et de la notion de culpabilité. La voix de Smith, enregistrée sur plusieurs pistes, est traitée avec des effets d’écho récurrents et contribue à l’ambiance sombre du morceau, combinée à la ligne de basse et aux parties de guitare très répétitives.
Deux autres chansons de l’album méritent une écoute attentive. « All cats are grey » propose des paroles surréalistes chantées avec douceur sur une mélodie au tempo lent qui peut évoquer « Low » de David Bowie et Brian Eno. L’album se clôt sur le titre éponyme, qui prodigue un message d’espoir (même si nous chutons, nous pouvons nous accrocher à notre foi, quelle qu’elle soit) soutenu par une mélodie magnifique, minimaliste et froide.
Pour résumer, « Faith » est une œuvre superbe. Le travail artistique de la pochette, qui montre un cliché solarisé de l’abbaye de Bolton, près de la ville de Skipton (Yorkshire), est dû à Porl Thompson, guitariste qui jouera dans The Cure et épousera la sœur de Robert Smith.
La deuxième tournée mondiale du groupe, « The picture tour », va les emmener en Angleterre, mais aussi aux Pays-Bas, en Allemagne, en Belgique. C’est pendant ce périple que le single « Charlotte sometimes », inspiré du roman pour enfants de Penelope Farmer qui porte le même titre, sera enregistré. Il ne figure sur aucun album. Hélas, durant un concert aux Pays-Bas, Lol Tolhurst apprend le décès de sa mère. Il reste assis, prostré, jusqu’à la fin de la soirée. Le groupe enchaîne toutefois les dates jusqu’à boucler le programme de la tournée.
Le quatrième album de The Cure sort le 4 mai 1982 et s’intitule « Pornography ». En conflit avec lui-même, mais aussi avec le monde, Robert Smith souhaite que ce soit le dernier disque du groupe avant sa dissolution définitive. C’est pourquoi cette œuvre, dont Robert Smith a dit qu’elle resterait la meilleure et la plus puissante de la discographie de The Cure, suscite l’attraction ou le rejet chez l’auditeur, mais ne génère jamais de sentiment tiède.
D’emblée, le titre « One hundred years » explore la problématique du suicide, et impose une tonalité désespérée à tout l’album. Du premier vers (« It dsn’t matter if we all die »), péremptoire et décisif, à la dernière strophe (« We die one after the other after the other »), l’auditeur est malmené, ballotté entre le désir d’amour (« Please love me/Meet my mother ») et le désir de mort. La musique, répétitive et agressive, se met au service de ces paroles très sombres.
Après « A short-term effect », qui dépeint un univers cauchemardesque où cohabitent la maladie, la folie et la putréfaction, le single « The hanging garden » (sorti après l’album) et sa rythmique tribale nous plongent dans une relation amoureuse où se mêlent passion et cruauté.
Le magnifique « Siamese twins », au tempo lent et à la mélodie majestueuse, et dont les paroles traitent à nouveau de putréfaction (« Worms eat my skin ») et de l’échec d’une relation (« Leave me to die/You won’t remember my voice/I walked away and grew old »), se conclut lui aussi par l’évocation de la mort (« Sing out loud/We all die !!!/Laughing into the fire »).
Les trois morceaux suivants, « The figurehead », « A strange day » et « Cold », sont moins réussis sur le plan des mélodies, même si certains de leurs lyrics sont impressionnants (« I will never be clean again », répété à l’envi dans le premier, « I close my eyes/Move slowly through drowning waves/Going away/On a strange day » ou « Your name/Like ice into my heart »).
Enfin, l’album se termine par le titre éponyme, choisi pour provoquer et choquer l’opinion. La chanson commence par une série de samples et une mélodie minimaliste sur le clavier de Simon Gallup, puis arrivent la batterie de Lol Tolhurst et la guitare plaintive de Robert Smith.
La voix exprime des paroles désespérées où se mélangent lassitude, résignation et désir de meurtre. Toutefois, il semble que le chanteur est conscient de sa souffrance psychologique, et la chanson se termine sur ces paroles : « I must fight this sickness/Find a cure ».
Ce dernier vers reflète bien, en s’autorisant un jeu de mots, l’état d’esprit de Robert Smith qui avait perdu de vue ce qui constituait l’essence de The Cure, tant son introspection l’avait emmené au bord de la folie.
Les photos du livret montrent les musiciens portant des masques spécialement conçus pour cet album, leur intention étant de nous montrer ce à quoi une Marilyn Monroe en pleine décomposition aurait pu ressembler, abandonnée pendant des années sur son beau drap de satin.
Le prochain single du groupe, « Let’s go to bed », sorti en novembre 1982, allait lui permettre de quitter cet univers de noirceur. Mais ceci est une autre histoire, et la trilogie « Seventeen seconds », « Faith », « Pornography » constitue pour de nombreux fans (dont l’équipe de BLITZ !) le point culminant de l’œuvre de The Cure.
Général Hiver