Lorsque l’on évoque le courant musical dénommé « post-punk », le premier nom de groupe qui vient à l’esprit est Joy Division, la formation mancunienne à laquelle était consacré le premier dossier de BLITZ! début 2012.
Toutefois, même si la plupart des groupes de cette mouvance, qui à l’énergie du punk ajouta l’utilisation des claviers, et des textes plus élaborés, étaient originaires du Nord de l’Angleterre, Londres ne fut pas en reste avec The Sound, qui n’obtint pas le succès qu’il aurait mérité…
Après avoir été le leader de la formation punk Outsiders, Adrian Borland fonde The Sound. Les débuts sont très réussis avec le maxi Physical World, paru chez Tortch Records en 1979.
Décidément très actif, Adrian Borland crée, avec Graham Green, bassiste et dont le vrai nom de famille est Bailey, le groupe Second Layer en 1979. La musique est plus expérimentale, avec notamment un usage accru des machines de l’époque.
Puis l’année 1980 est marquée par le premier album de The Sound en studio, Jeopardy, qui s’éloigne des standards du mouvement punk et signe le début de la collaboration du groupe avec le label Korova, qui appartient à Warner Brothers. La pochette montre une femme et un homme au visage partiellement dissimulés par des loups, qui semblent sortis du film Fantômas de Louis Feuillade.
Le line-up est alors le suivant : Adrian Borland (chant, guitare), Graham Green (basse), Mike Dudley (percussions) et Benita « Bi » Marshall (claviers, saxophone, clarinette).
Le premier titre de l’album, I can’t escape myself, intègre avec efficacité tous les ingrédients du courant post-punk : basse en avant, guitare agressive et voix qui exprime une douleur poignante sans pour autant hurler comme le ferait un chanteur punk. Quant aux paroles, elles dépeignent un profond mal de vivre et l’impuissance à l’atténuer.
L’album est remarquablement homogène, minimaliste et rempli de l’énergie de la révolte. Les titres sont tous au minimum de très bonne facture, avec en particulier le jeu de claviers sobre mais toujours bien placé. Les deux chansons les plus remarquables outre I can’t escape myself sont Heartland, moins pessimiste et plus « pop », et Night versus day, au jeu de basse proéminent et où Adrian Borland nous gratifie d’une voix sépulcrale.
L’album Jeopardy a fait l’objet d’une réédition en 2012 par le label 1972 (Warner Music UK).
Dès le printemps 1981, The Sound sillonne l’Europe et rencontre un succès significatif aux Pays-Bas. Malgré la qualité de son travail et de nombreux concerts au Royaume-Uni, Adrian Borland n’est pas prophète en son pays…
En 1981, The Sound enregistre From the lions’ mouth, avec Max Mayers aux claviers. L’ensemble des chansons de ce second album confirme pour certains journalistes britanniques que le groupe est le chaînon manquant entre Joy Division et Echo and the Bunnymen. Il s’ouvre avec le bouleversant Winning, dont l’introduction est inoubliable. Le chant d’Adrian Borland, plaintif mais non caricatural, est ici mis au service de paroles déchirantes sur les hauts et bas de l’existence.
Les titres s’enchaînent remarquablement et procurent le même plaisir à l’auditeur : la voix rappelle parfois celle de Bono de U2 (sur Judgement) ou Jim Morrison des Doors (The Fire).
Deux morceaux se distinguent particulièrement : le nerveux Skeletons, aux parties de guitare épiques, et Fatal Flaw, où l’harmonie entre les quatre musiciens est parfaite.
Réédité en 2012 (grâce soit rendue ici encore au label 1972), l’album se conclut sur A new dark age, une violente et sombre dénonciation de l’intolérance, et sur le très rythmé In the hot house, aux arpèges de guitare que n’aurait pas désavoués Johnny Marr des Smiths.
L’année suivante, le troisième album du groupe, All fall down, est publié chez Korova. Toutefois, un contentieux a éclaté entre les musiciens et l’équipe de Korova, les premiers accusant les seconds d’investir trop peu d’argent. Les responsables du label demandent au groupe de composer des titres plus commerciaux afin de vendre davantage de disques, mais la réponse des musiciens est cinglante. L’album All fall down, loin de s’approcher des standards de la musique pop, s’en éloigne au contraire.
Le meilleur titre est sans conteste Party of the mind, évocation de problèmes mentaux (ceux d’Adrian Borland) non dénuée d’humour, et à la rythmique qui invite à la danse.
Dans l’ensemble, cet album est moins réussi que ces prédécesseurs. À l’énergie brute mais contenue de Jeopardy et à la grande musicalité de From the lions’ mouth succèdent des ambiances plus expérimentales.
Les années 1983 et 1984 sont marquées par deux brèves tournées aux Etats-Unis et des concerts à New York, Philadelphie, Washington, San Francisco et Los Angeles.
En 1985, The Sound sort son 4e album studio, intitulé Heads and Hearts, chez Statik. L’édition en CD de 1996 inclut l’EP Shock of daylight paru chez Statik en 1984. Les titres des deux productions s’appuient sur des sonorités comparables : un grand soin est apporté à la mélodie et les vocaux sont de plus en plus proches de ceux de Bono. Le titre le plus remarquable est probablement One thousand reasons, dont le refrain chanté à plusieurs voix pourrait évoquer Ultravox.
Pour réaliser Heads and Hearts, produit par Wally Brill et dont l’artwork est l’uvre de Vaughan Oliver du label 4AD, le quatuor a recruté deux saxophonistes et un trompettiste. L’éloignement du post-punk est manifeste et le disque crée une ambiance pop-new wave agréable mais dont l’urgence n’est plus le moteur.
Durant l’année 1985, les signes de dépression nerveuse d’Adrian Borland sont de plus en plus évidents.
L’année 1986 est marquée par la sortie du double LP live enregistré au Marquee à Londres les 27 et 28 août 1985. In the hothouse montre le groupe au zénith de sa forme et l’énergie qu’il communique ne faiblit pas. Malheureusement, Statik fait faillite et de nouveau le groupe se retrouve sans maison de disques.
En 1987, nous les retrouvons chez Play it again Sam (PIAS), petit label belge, pour leur dernier album, intitulé Thunder up. Il comprend le magnifique titre Kinetic, à la mélodie superbe qui peut évoquer le meilleur d’Echo and the Bunnymen.
Lors d’une tournée en Espagne, le groupe est contraint d’annuler plusieurs dates en raison de la santé déclinante d’Adrian Borland.
Au début de l’année 1988, la fin de The Sound est décidée d’un commun accord entre les musiciens.
Bien que son uvre ait été acclamée par la presse anglaise, The Sound n’a jamais rencontré le succès qu’il aurait mérité auprès du grand public. L’honnêteté d’Adrian Borland, dont les textes dévoilaient sans artifice la personnalité et le mal de vivre, peuvent expliquer en partie cet échec commercial (et non artistique).
En outre, au début des années 80, la mode était aux groupes du Nord de l’Angleterre. The Sound a peut-être débuté la partie avec un handicap, du fait qu’il était originaire de la région de Londres…
GENERAL HIVER
TOP 5 des chansons de The Sound (selon BLITZ!)
Pour en savoir plus sur le regretté Adrian Borland (qui s’est suicidé en 1999) et The Sound, voici le lien vers l’excellent site Brittle Heaven, riche d’une documentation très détaillée : http://www.brittleheaven.com/index.php?section=10