Par le Général Hiver
Dans le numéro précédent, nous avions rapidement évoqué sous la rubrique TELEX la dynamique scène underground turque.
Le présent dossier nous permet d´exposer le résultat plus détaillé de nos investigations, grâce aux contacts cordiaux que nous avons pu lier avec les deux formations emblématiques de cette scène, She Past Away et Neoplast (devenu depuis Art Diktator).
Le groupe gothique/électro She Past Away, dont nous avons publié une rapide biographie dans BLITZ! Numéro 5, a accepté de répondre à nos questions.
Blitz! : Tout d´abord, nous souhaiterions vous féliciter pour votre excellent travail, sur votre EP « Kasvetli Kutlama » et votre album « Belirdi Gece ». Pourquoi chantez-vous en langue turque ? Bien que cela apporte un élément de mystère à vos textes, particulièrement pour ceux qui ne parlent pas votre langue, ce choix vous dessert probablement en termes de renommée à l´échelle internationale.
She Past Away : Nous préférons nous exprimer dans notre propre langue, ce qui constitue une démarche plus honnête et sincère.
B : Certains de vos titres sont de véritables chefs-d´uvre, en particulier « Ruh », la meilleure selon nous, et « Kasvetli Kutlama », aux formidables arpèges de guitare. Pouvez-vous nous expliquer le thème de « Ruh » et le sens de ses paroles ?
SPA : Les paroles de « Ruh » sont une adaptation du poème de Charles Baudelaire « Le revenant ». La chanson est dominée par le pessimisme le plus abstrait (le néant, le doute, l´instant de la mort, etc.). En général, nos textes sont imprégnés de thèmes négatifs. Nous aimons exprimer des idées obscures et étranges.
Le Revenant (Charles Baudelaire)
Comme les anges à l´il fauve,
Je reviendrai dans ton alcôve
Et vers toi glisserai sans bruit
Avec les ombres de la nuit;
Et je te donnerai, ma brune,
Des baisers froids comme la lune
Et des caresses de serpent
Autour d´une fosse rampant.
Quand viendra le matin livide,
Tu trouveras ma place vide,
Où jusqu´au soir il fera froid.
Comme d´autres par la tendresse,
Sur ta vie et sur ta jeunesse,
Moi, je veux régner par l´effroi.
B : Dans une interview au magazine Dark Italia, vous avez cité, au nombre de vos références, les groupes Joy Division, Fields of the Nephilim, Suicide, DAF et Clan of Xymox. Vous avez aussi mentionné Asylum Party, formation française. Comment l´avez-vous découverte, et connaissez-vous d´autres groupes français, comme Taxi Girl ou Corpus Delicti ?
SPA : Asylum Party est un groupe remarquable, que nous avons découvert sur Internet il y a 4-5 ans. Cela nous a donné envie de chercher plus avant dans la scène cold wave française. Nous avons en effet écouté Taxi Girl et Corpus Delicti. Les années 80 et 90 ont été formidables musicalement pour cette scène cold wave dont les pionniers nous impressionnent : Coldreams, Little Nemo, End of Data, Kas Product et beaucoup d´autres.
B : Vous allez effectuer en mai une tournée en Allemagne. La France compte elle aussi un grand nombre de fans de rock gothique, en particulier à Paris. Pouvez-vous nous dire quand vous vous produirez en concert en France ?
SPA : À ce jour, aucune proposition sérieuse ne nous est parvenue pour jouer en France. Mais bien évidemment, nous aimerions nous y produire.
B : Avez-vous prévu un nouvel album cette année ? Comportera-t-il des textes en anglais ?
SPA : Notre nouvel album sortira en 2014. Nous mettons la dernière touche à nos morceaux. L´album ne contiendra pas de chanson en anglais, langue que nous ne maîtrisons pas.
Parmi les influences évoquées par le duo She Past Away figure Neoplast, groupe pionnier de la scène gothique-industrielle en Turquie, dont la carrière dura 11 ans (1998-2008).
À ses débuts, Neoplast jouait de la musique industrielle accompagnée de shows fétichistes, puis évolua vers un répertoire plus proche du rock gothique et de la darkwave au fil des années.
Le line-up a été fréquemment modifié. Composé de 6 membres à l´origine, le groupe a enregistré certains albums en solo (Hakan Nurcanli, dont le pseudonyme est Art Diktator, travaillant seul sur l´album No Fear en 2000) ou en trio (album Burning Bright en 2006).
Durant ces onze années, Neoplast se produit en concert avec de nombreux autres groupes turcs ou étrangers comme The Bravery ou Inkubus Sukkubus.
Neoplast se distingue par d´excellentes reprises (True Faith de New Order ou L´aventurier d´Indochine).
Fin 2008, le groupe Neoplast se sépare et Hakan Nurcanli lance le projet Art Diktator.
Le projet se présentait à l´origine comme un groupe d´électro-industriel-dance.
Depuis 2011, la formation s´est réduite à un duo : Hakan, qui utilise depuis 1997 le pseudonyme d´Art Diktator, assure les vocaux et tient la basse, alors qu´Adviye Nurcanli, elle, s´occupe des claviers et des churs.
Le projet « Art Diktator » s´inscrit dans une démarche pluridisciplinaire qui ne se limite pas à la musique puisque la mode, l´esthétique et l´attitude ont la même importance pour Hakan, qui dessine lui-même les affiches des concerts tandis qu´Adviye se charge des projections sur écran des visuels lors des concerts et réalise les vidéos.
Musicalement, les morceaux proposent une « dark energy » à la vivacité communicative. Les thèmes exposés reflètent les centres d´intérêt du groupe : l´avenir, la nature, l´individualité, l´anormalité, le sexe, la violence, le fétichisme, le bondage, la mort.
En février 2012 sort leur premier EP (6 morceaux), intitulé « Ultimo Disco Inferno ». En novembre, ils réalisent leur premier clip vidéo, « Peri Kizi », extrait de l´EP, où les musiciens apparaissent drapés dans des manteaux noirs et les visages couverts de masques à gaz.
Les titres qui composent cet EP sont en turc, mais le groupe a déjà interprété des morceaux en anglais, de son cru ou dans le cadre de reprises, ou même en français, langue que connaît Hakan.
Sur « Ultimo Disco Inferno », un morceau nous a particulièrement plu, il s´agit de « Zehir », à la ligne de basse remarquable et aux vocaux dignes d´Andrew Eldritch.
Le duo participe à de nombreux concerts, en Turquie ou à l´étranger, notamment en Russie lors du festival « Cyberfront 2012», où il a joué avec VNV Nation, que l´on ne présente plus.
A cette occasion, Art Diktator a vigoureusement repris le titre phare d´Indochine « L´aventurier ».
Le duo a bien volontiers accepté de répondre à nos questions, en français.
Blitz! : Nous souhaiterions savoir dans quelle logique s´inscrivent vos changements de style musicaux, passant du death metal de DEATHROOM au rock gothique de NEOPLAST, puis à la dark energy de ART DIKTATOR. Comment expliquer une telle évolution ?
Art Diktator : Tous ces styles peuvent paraître sans logique mis ensemble ; mais ici on parle de 3 époques différentes étendues sur 25 ans. Il faut encore y ajouter une décennie passée sans jouer de la musique, mais à l´écouter avec la passion de la jeunesse. Alors, ça nous fait un cocktail qui a enfin vieilli et a eu la chance d´obtenir le bon goût. Notre structure musicale rassemble les caractéristiques de plus de 4 décennies. C´est la bonne foi qui inspire la créativité plutôt que la logique… Rien n´est très comprimé chez Art Diktator (sauf les morceaux qui dépassent très rarement les trois minutes). On a une touche très symbolique. Je sais que ça ne rend pas les choses plus faciles pour nous ; mais nous sommes des gens difficiles qui cherchent le diable sur la piste de la richesse. Que ça sonne bien !
Quant au terme « dark energy », c´est nous qui l´avons inventé afin de rendre les choses plus faciles. Chez Art Diktator on a un côté techno avec une performance très rock.
B : Outre Indochine, quels autres groupes ou artistes français avez-vous déjà repris, ou envisagez-vous de reprendre sur scène ?
AD : Normalement, je ne suis pas un artiste très friand de reprises, il faut que j´aie des liens très organiques avec le morceau. Ça, c´est très symbolique pour moi. Alors dans ce cas je travaille trop en détail ; afin d´éviter tout banalité possible. Par exemple, voilà ce que je me dis quand je reprends ‘´L´aventurier´´ : - Mais putain, j´avais 14 ans et je mettais ça à fond chez mes parents ; c´était le début des années 80, j´étais jeune, pur, naïf. Alors j´oublie la vie de merde qui nous entoure et cette énergie folle me reprend … Mais L´indo existe toujours ! Vive L´indo… Cela m´encourage à continuer.
Mais bien sûr il y en a d´autres à mentionner ; je voudrais les reprendre tous mais ce travail de reprise marche très lentement. Il me faudra toute une vie… Mais sachez par exemple que la façon très spéciale dont Mylène Farmer joue avec les mots m´a beaucoup inspiré pour écrire mes paroles.
B : Un album d´Art Diktator sortira-t-il en 2013 ? Avec des titres en turc, en anglais, en français ?
AD : Je me suis toujours considéré comme un artiste de scène : contact direct, performance sincère. J´ai eu beaucoup de difficultés à accepter l´évidence d´un album. Est-ce que vous vous rendez compte que j´ai laissé 25 ans derrière moi sans sortir un album ? D´accord, il vaut mieux en laisser quelques-uns avant de crever. Actuellement, on travaille dessus.
Bien sûr que l´on veut chanter en turc, en anglais, en français. On verra…
B : Allez-vous participer à des concerts au second semestre 2013 ? Jouerez-vous en France ?
AD : Pour l´instant rien n´est prévu. Comme je voudrais venir jouer en France !