Auteur-compositeur-interprète américain installé à Londres, Scott Walker
vient de nous quitter.
En 1995 était sorti son dixième album, « Tilt », dont la formidable ouverture,
« Farmer In The City (Remembering Pasolini) », nous avait frappés dès la première écoute, et
nous hante encore. Nous allons tenter d'expliquer pourquoi.
Le morceau commence par un son de clochettes, comme pour annoncer un office religieux. Puis une nappe de synthétiseur s'installe et ouvre le chemin à la voix, surprenante, plaintive, empreinte de souffrance et de mélancolie.
L'association des arrangements de cordes majestueux à un piano minimaliste et à la voix habitée de Scott Walker entraîne l'auditeur extrêmement loin, sur les traces du cinéaste et poète italien Pier Paolo Pasolini, assassiné en novembre 1975 à Ostie (près de Rome), selon la version officielle, par un prostitué mâle de 17 ans.
Scott Walker emprunte certaines des paroles de sa chanson à un poème qu'écrivit Pasolini pour Ninetto Davoli, son amant, alors âgé de 21 ans.
La phrase « Can't go by a man » (ou « go buy », allusion au fait d'« acheter un homme », en l'occurrence un prostitué mâle) se trouve également dans le morceau « Man from Reno », co-composé par Scott Walker et Goran Bregovic ( https://www.youtube.com/watch?v=y3YOweA72YM) ).
Pour écouter « Farmer In The City » : https://www.youtube.com/watch?v=zIJzTWk6bSw
Paroles :
[Chorus]
Do I hear 21, 21, 21?
I'll give you 21, 21, 21
Do I hear 21, 21, 21?
I'll give you 21, 21, 21
[Verse 1]
This night you are mistaken
I'm a farmer in the city
Dark farm houses 'gainst the sky
Every night I must wonder why
Harness on the left nail
Keeps wrinkling, wrinkling
Then higher above me
Esau, esau
Can't go by a man from Rio
Go buy a man from Vigo
Can't go by a man from Ostia
Hey Ninetto
Remember that dream?
We talked about it so many times
[Chorus]
Do I hear 21, 21, 21?
I'll give you 21, 21, 21
Do I hear 21, 21, 21?
I'll give you 21, 21, 21
[Verse 2]
And if I'm not mistaken
We can search from farm to farm
Dark farm houses 'gainst our eyes
Every night I must realize
Harness on the left nail
Keeps withering and withering
Then higher above me
Esau, esau
Can't go by a man in this shirt
Go buy a man in that shirt
Can't go by a man with brain grass
Go by his long long eye gas
And I used to be a citizen
And I never felt the pressure
I knew nothing of the horses
Nothing of the thresher
Paolo, take me with you?
It was the journey of a life
[Chorus]
Do I hear 21, 21, 21?
I'll give you 21, 21, 21
Do I hear 21, 21, 21?
I'll give you 21, 21, 21
Plusieurs tentatives d'analyse de ce texte peuvent être consultées sur Internet. Toutefois, il n'est pas gênant que ces paroles conservent leur part de mystère, dès lors que l'auditeur accepte de se laisser porter par ce morceau absolument unique en son genre.
Scott Walker, artiste majeur, a influencé de nombreux artistes de renom, parmi lesquels figurent David Bowie ou Douglas P. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point dans un prochain numéro, mais nous voulions d'ores et déjà partager avec vous ce pur plaisir d'esthète mélomane que procure l'écoute de « Farmer In The City (remembering Pasolini) ».
C'était en juin 1979. Dans les bacs des disquaires anglais apparaissait ce vinyle dont la pochette mystérieuse intriguait beaucoup.
Et que dire de son contenu ? Les 10 morceaux sonnaient d'une manière tout à fait nouvelle pour un disque de rock.
Martin Hannett, le producteur et ingénieur du son, avait eu l'idée originale d'intégrer des bruits particuliers (une bouteille se brise, quelqu'un mange des chips, un bruit d'ascenseur, le son des toilettes du sous-sol du studio d'enregistrement, sons au synthétiseur, etc...).
Le résultat fut un son qualifié à l'époque d'atmosphérique et spacieux, qui divisa
les membres du groupe. Le bassiste Peter Hook et le guitariste Bernard Sumner le
détestèrent au début, reprochant à Martin Hannett d'avoir atténué le son dur et lourd
développé par le groupe en concert, en diminuant le niveau des guitares.
En revanche, le chanteur Ian Curtis et le batteur Stephen Morris se déclarèrent
satisfaits du son de l'album, tout comme Rob Gretton (manager) et Tony Wilson (directeur
du label Factory Records).
Quarante ans plus tard, le premier album de Joy Division, dénommé
« Unknown Pleasures », car c'est de lui qu'il s'agit, figure toujours en très bonne place
dans la discothèque des amateurs de musiques sombres.
Sa mélancolie, sa profondeur, fruits du travail de production de Martin Hannett, ont
jeté les bases du post-punk et continuent d'influencer les musiciens
qui emboîtent le pas des Mancuniens.
Et la pochette ? L'un des membres du groupe (Bernard Sumner ou Stephen Morris) découvrit dans une encyclopédie la représentation graphique des ondes émises par une étoile sur le point de mourir, désignée par PSR 1919+21.
Le designer Peter Saville inversa la polarité blanche et noire de l'original, et plaça
l'image au centre d'un arrière-plan noir de jais, pour en faire la couverture de la
pochette de l'album. Le motif fut reproduit sur le disque lui-même.
Selon les propres termes de Peter Saville, le signal venu de l'espace était ainsi rendu
à l'espace...