BLITZ!

DOSSIER BLITZ! Numéro 8 :

ELECTRONIC BODY MUSIC, la filière belge

L´expression « Electronic body music » (EBM) a pour la première fois été utilisée par les musiciens de la formation belge Front 242 pour décrire leur œuvre, qui combine des rythmiques dures et énergiques, des mélodies à base d´ordinateur, aux sonorités le plus souvent froides, et un chant vindicatif mais sans distorsion, avec des refrains scandés, parfois comparables à des slogans politiques.

Les pionniers : FRONT 242

Fondé par Daniel Bressanuti (production, remixage, programmation, mixage live) et Dirk Bergen, le nom Front 242 (prononcer « Front deux quatre deux » en français) se compose de deux éléments : le mot « Front » traduit la volonté des musiciens de toujours se situer à l´avant-garde et la combinaison sonore agréable des chiffres (2 4 2), facile à retenir, est compréhensible dans tous les pays du monde.

Front 242, Body Music

Leur premier single « Body to body », répétitif et lancinant, figure sur le vinyle 7 pouces « Principles/Body to body » (Label New Dance) de 1981 et sur l´excellente compilation du label Play It Again Sam (PIAS) intitulée en toute logique « ELECTRONIC BODY MUSIC », datant de 1988.

Dès 1982, Jean-Luc De Meyer (chant) et Patrick Codenys (claviers, samplers), issus de la formation Under Viewer, rejoignent le groupe pour le single « U-Men ». Le premier album, autoproduit et intitulé « Geography », sort cette même année. Il comporte le magnifique titre « Kampfbereit », au tempo lent et à l´atmosphère glaciale, et le minimaliste mais très dansant « Operating Tracks ».

Le line-up évolue peu après avec le départ de Dirk Bergen remplacé par Richard Jonkheere (percussions, chant, samplers), qui adopte le pseudonyme Richard 23.

Les influences revendiquées par Front 242 vont de Joy Division, pour son côté dramatique, à l´electropop de Fad Gadget ou le KrautRock (Can, Neu!, Faust), en passant par la musique concrète de Karlheinz Stockhausen.

Pour Front 242, l´EBM est liée à la biomécanique, en ce sens qu´elle combine sueur, chair, muscles et ordinateurs.

Il est vrai que le trait dominant de cette musique est l´énergie, à l´image des performances sur scène de Front 242, proches d´une manifestation sportive.

À juste titre, les musiciens du groupe considèrent qu´il appartient au public de convertir de manière positive ou négative toute l´énergie résultant de l´interactivité entre la scène et la salle.

La mission qu´ils se sont assignée consiste à distraire le public et lui procurer l´occasion de se défouler.

Toutefois, Front 242 a fréquemment été soupçonné de convictions fascisantes, en raison de la nature même de sa musique et de l´imagerie paramilitaire qu´il affiche sur scène ou dans ses vidéos. Le groupe a d´ailleurs formellement démenti être animé par de telles idées.

Le succès international vient en 1983 avec la signature avec le label américain Wax Trax. Suivent plusieurs concerts aux Etats-Unis, où Front 242 assure la première partie de Ministry. Avec l´influence de Front 242, Alain Jourgensen durcira la musique de Ministry, en ajoutant à son electro synth-pop des éléments industriels, avec le succès mérité que l´on connaît.

En 1985, le 6 titres « No Comment » sort, avec en particulier les excellents « Commando mix », très impressionnant lorsqu´il est joué live, et « No shuffle ».

Front 242

L´année 1987 est marquée par la sortie de la compilation « Backcatalogue » et l´album « Official Version ». Les deux disques comportent des morceaux inoubliables, comme « Funkhadafi », « Commando remix » et « Don´t crash » pour le premier, et les prodigieuses invitations à la danse que sont « Masterhit (part I and II) » et « Masterblaster » pour le second.

En 1988, en plein mouvement New Beat, l´album « Front by Front » sort. Sur la pochette sont indiqués les BPM (beats per minute), à destination des disc-jockeys.

Le titre le plus célèbre du groupe, « Headhunter », figure sur ce disque, aux côtés d´autres très bons morceaux comme « Until Death (Us do part) » ou « First in, first out », qui flirte avec le genre techno.

Le videoclip de « Headhunter » est réalisé par Anton Corbijn, ce qui rapproche Front 242 de Joy Division, l´une de ses influences selon J-L De Meyer. Par ailleurs, cette chanson a fait l´objet d´un grand nombre de remixes. JL De Meyer a déclaré que le thème de ce morceau lui a été inspiré en souvenir de sa période de recruteur pour une compagnie d´assurances.

Front 242

Trois ans plus tard, la musique de Front 242 se fait plus complexe, dans les rythmiques, plus variées, et dans la recherche des sonorités, comme en témoigne l´époustouflant « Sacrifice », qui ouvre l´album « Tyranny for you ».

Ce virage se confirmera avec les opus suivants : en 1993, « 06:21:03:11 Up evil » et « 05:22:09:12 Off », qui à nos yeux sont les deux dernières œuvres vraiment intéressantes de Front 242.

Sur « Up evil », les vocaux sont désormais plus en retrait, légèrement déformés. La ressemblance avec Skinny Puppy ou Front Line Assembly, comme sur les morceaux « Waste » et « Religion », s´accentue.

Les deux albums sont toujours dansants, avec des sonorités plus élaborées et parfois proches de la techno ou la trance (« Skin » et « Happiness », sur « Off », peuvent en témoigner). L´excellent « Crushed » rappelle les œuvres composées par Rudy Ratzinger de :Wumpscut: durant sa meilleure période.

Front 242, Tyranny For You Front 242, Up Evil
Tyranny for you 06:21:03:11 Up evil

Suivront, en 1993 également, « Angels versus animals », en 1995 « Mut@ge mix@ge » (album de remixes, réalisés entre autres par The Orb et The Prodigy). En 1999 sort un album live, « [:Re:boot: L.I.V.E.]. En 2003, l´album « Pulse » surprend par son accès difficile. L´EP « Still and raw », sorti la même année, comporte le superbe titre « Loud ».

En 2004, le groupe réédite l´album « Geography » sous le nom de « Geography 2004 ».

Front 242, Moments 1

En 2008, la compilation « Moments 1 », en CD digipack ou double CD, propose les morceaux les plus connus du groupe joués live, avec une version surpuissante de « Loud ». Les titres de ce « Very best of » brillent d´un éclat nouveau grâce aux sonorités modernes, par exemple « Kampfbereit », avec plusieurs vers chantés en français.

L´influence de Front 242 a largement dépassé les frontières de la Belgique. Nine Inch Nails, New Order ou The Prodigy comptent parmi les fans des pionniers de l´EBM belge.

Le site du groupe, très bien documenté, permettra au lecteur curieux d´approfondir sa connaissance de Front 242: http://www.front242.com/site/content/news.asp

Focus sur un side-project : 32Crash

Front 242, Moments 1

Jean-Luc De Meyer, chanteur de Front 242, s´est associé à Len Lemeire (machines, vocaux) et Jan D´Hooghe (batterie, guitares, machines) du groupe belge Implant, dans le projet « 32Crash ».

Leur premier album, intitulé « Weird News From an Uncertain Future », date de 2007. Oeuvre conceptuelle, cet opus nous plonge dans un univers peuplé de créatures issues d´une autre planète. L´EBM puissante de 32Crash propose des titres à la rythmique très rapide, mais recèle aussi quelques superbes pièces, comme « Let me enjoy », « Spacemen and Poets » et « WWW.Hide », aux trouvailles mélodiques indéniables valorisées par des sonorités modernes, loin des claviers « vintage ».

La mouvance EBM belge compte plusieurs autres groupes de grande qualité, comme ABSOLUTE BODY CONTROL, dont le chanteur, Dirk Ivens, ne manque pas lui non plus de projets parallèles.

ABSOLUTE BODY CONTROL

Absolute Body Control : Wind ReWind

Après avoir officié comme chanteur et guitariste dans le groupe punk Slaughterhouse, Dirk Ivens forme en 1979 le groupe The Few, qui propose des morceaux de style new wave.

Dès 1980, le nom d´Absolute Body Control apparaît sur des compilations. Le premier single, intitulé « Is there an exit? », sort en 1981 en 7´´ (chez Blitz Records) et devient rapidement un hit underground. Après plusieurs changements de line-up, le groupe se stabilise sous forme d´un duo Dirk Ivens/Eric Van Wonterghem.

Influencé par les groupes Suicide (USA) et DAF (Allemagne), ainsi que par la scène electro britannique (Nitzer Ebb), Absolute Body Control délivre une musique répétitive, minimaliste et parsemée de sonorités industrielles. La voix de Dirk Ivens n´est pas soumise à des effets qui la dénatureraient. Les morceaux les plus mélodieux du groupe sonnent donc comme de bons titres proches du courant new wave/synth pop.

Débordant d´activité, les deux musiciens s´investissent dans plusieurs projets parallèles (DIVE, SONAR, THE KLINIK, INSEKT, MONOLITH), tous différents mais essentiellement à base d´instruments électroniques.

En 2006, après 20 ans de silence, Absolute Body Control se reforme pour participer à des festivals, où le groupe joue ses anciens morceaux les plus prisés. Ces concerts raniment la flamme du duo, qui décide de composer de nouveaux titres.

En 2008 sort la compilation « Wind[Re]wind », qui propose de nouvelles versions des anciens « tubes ».

Les morceaux les plus remarquables sont « Figures », « Love at first sight », encore très influencés par la new wave, « I wasn´t there », qui décrit une scène de crime de manière évocatrice, et le très beau « I´m leaving », aux paroles très émouvantes :

  • « Feeling guilty, feeling pain.
  • Stupid feelings in my brain.
  • Noone hears a sound I make,
  • my whole life was a big mistake.

  • Before I´m leaving, there´s something I would say.
  • You never wanna listen,
  • that´s the price you have to pay.

  • What does it matter, I´m leaving here today.
  • What does it matter, I come back another day. »

Shattered Illusion

La compilation rassemble des morceaux très variés. L´influence de Suicide est évidente sur le titre « So Obvious », alors que « Give me your hands » utilise les mêmes sonorités que les premières compositions de Front 242.

L´année 2010 marque la sortie de l´album « Shattered illusion », où coexistent des titres dansants comme « Surrender No Resistance » ou le superbe « Into the Light », et des morceaux plus intimistes tel l´instrumental d´ouverture « What took you so long? », qui pourrait constituer un excellent générique d´émission de radio spécialisée.

Quant au titre éponyme, « Shattered Illusion », il s´agit d´un très bon morceau orienté synth-pop, malheureusement trop court avec ses 3´12´´.

L´année 2011 voit la sortie du LP « Mindless Intrusion », sur le label Minimal Maximal géré par Dirk Ivens lui-même.

En pleine forme, il poursuit ses explorations sonores. En 2013 est sorti le nouvel album de The Klinik, intitulé « Eat your heart out », sur le label Out Of Line. Les ambiances y sont tout aussi oppressantes que sur les précédents opus du groupe.

Enfin, un double CD de Dive, intitulé « Compiled », est lui aussi sorti en 2013. Projet plus bruitiste, Dive avait remarquablement remixé le formidable morceau « Float » de:Wumpscut: en 1997, sur le célère « Music for a Slaughtering Tribe II ».

Plus d´informations : http://www.dirkivens.com/

Les autres groupes de l´EBM

La Belgique est une pépinière de groupes spécialisés dans l´EBM, tels A Split Second, The Neon Judgement, à;Grumh et SA42. Tous ont participé à des compilations qui permettent de bien appréhender ce courant musical, très dansant, que seules deux grandes formations anglaises ont exploré : Nitzer Ebb (« Come Alive » est probablement leur meilleur titre), et Click Click (« She´s chewing them », à écouter de toute urgence).

Labels

Les productions des groupes de la mouvance EBM se trouvent principalement chez Play It Again, Sam (PIAS), Antler-Subway, Metropolis, Wax Trax!, Zoth Ommog, Off Beat.

Matériel

Les noms de synthétiseurs suivants ranimeront les souvenirs des plus nostalgiques fans d´EBM : Korg MS-20 et Yamaha DX7.

Le DX7 />

À (re)découvrir

B9 Bis

La compilation « B9 bis » (LTMCD 2486) est une réédition au format CD de la cultissime « B9 », parue à l´époque chez Sandwich Records. Elle réunit plusieurs artistes ou formations emblématiques de la scène indépendante belge des années 1979 à 1983. Les morceaux les plus remarquables sont l´oeuvre de Polyphonic Size (« Kyoto »), Prothèse, le projet de Daniel B. de Front 242 (« Tumeurs »), Satin Wall et son duo vocal masculin/féminin (« Dans les profondeurs »), les immenses The Names (« Spectators of Life »), Siglo XX avec le très post-punk « Individuality » et... Front 242, qui nous offre son instrumental « Principles », truffé d´effets sonores.

Pour conclure ce dossier : même si l´EBM a évolué, en s´imprégnant du courant synth-pop et de la techno, il est réjouissant de constater que cette scène reste créative et dynamique, trente ans après son apparition. Ce courant musical propose des morceaux très structurés et dansants à la fois, prouvant que les tendances apollinienne et dionysiaque sont parfaitement complémentaires dans l´action créatrice.

Général Hiver

Sur les platines du dancefloor de BLITZ! - EBM belge

  1. Front 242 « Headhunter V1.0 »
  2. Absolute Body Control « Into the Light »
  3. The Neon Judgement « TV Treated »
  4. A Split Second « Flesh (Dub)»
  5. Front 242 « Masterblaster »