BLITZ!

BLITZ! - DOSSIER NUMERO 1 : JOY DIVISION

L'histoire de Joy Division a été maintes fois contée, ce qui témoigne de l'importance de son œuvre dans le paysage tourmenté du rock.

Le premier dossier de BLITZ! est logiquement consacré à la formation de Manchester, dont la carrière fulgurante et les thématiques souvent sombres ont exercé une influence décisive sur de nombreux groupes des mouvances cold wave, industrielle ou gothique.

Les débuts : les Stiff Kittens et Warsaw

Tout commence donc à Manchester, en 1975. Cité industrielle du Nord de l'Angleterre, dépourvue de beauté, elle n'offre à sa jeunesse d'autre perspective que d'entrer à l'usine ou de dépenser ses maigres revenus dans une multitude de pubs, afin d'oublier l'environnement bétonné déprimant.

Heureusement, il y a la musique, et en 1976 les villes du Nord sont elles aussi gagnées par le raz-de-marée punk. La tournée des SEX PISTOLS passe par Manchester, et le concert du 4 juin 1976 au Lesser Free Trade Hall restera dans les mémoires car il illustre la possibilité de créer un groupe de punk-rock, même sans savoir jouer des instruments, car l'énergie et la détermination priment la technique. Dans le public se trouvent Bernard SUMNER et Peter HOOK, qui se connaissent depuis l'âge de 11 ans, lorsqu'ils ont fréquenté la même école. Ian CURTIS, jeune ouvrier de Macclesfield, qui porte un blouson barré au dos du mot HATE (haine) assiste aussi à la performance.

Les SEX PISTOLS, dont la prestation est jugée chaotique, rebelle et fascinante par les spectateurs, participent à un second concert à l'Electric Circus où les BUZZCOCKS, groupe déjà connu de la scène mancunienne, assurent la première partie.

Les événements s'enchaînent alors très rapidement : une dizaine de jours après le concert, Bernard SUMNER (guitare), Peter HOOK (basse) et Terry MASON (batterie) forment leur groupe : STIFF KITTENS (les chatons raides). À la recherche d'un chanteur, ils passent une annonce dans e magasin Virgin Records de Manchester. Fin 1976, Ian CURTIS intègre donc le groupe. Fan d'IGGY POP et du VELVET UNDERGROUND, il rêve d'un avenir meilleur que son actuelle condition d'ouvrier.
Incontestablement, la musique des STIFF KITTENS est très proche du punk. L'énergie et l'improvisation priment, comme en témoignent leurs premières compositions, GUTZ, AT A LATER DATE, INSIDE THE LINE, THE KILL.

Le 29 mai 1977 est historique dans la mesure où les STIFF KITTENS donnent leur premier concert à l'Electric Circus. Un nouveau batteur, Tony TABAC, a remplacé Terry MASON et le groupe s'est rebaptisé du nom de WARSAW (Varsovie) en hommage au titre instrumental de David BOWIE, Warszawa, dont Ian CURTIS est un admirateur déclaré.

Une série de concerts suivra mais à son tour Tony TABAC quitte le groupe. Il est remplacé par Steve BROTHERDALE, qui participe aux enregistrements de la première cassette de démonstration de WARSAW, qui comporte les 4 titres précités et YOU'RE NO GOOD FOR ME.

Un ultime changement de batteur a lieu avec le départ de Steve BROTHERDALE pour THE PANIK, une formation avec laquelle il a déjà enregistré un 45 tours. Steven MORRIS, de Macclesfield comme Ian CURTIS, rejoint WARSAW. Le 14 décembre 1977, WARSAW enregistre son premier 45 tours qui se compose de 4 titres à l'énergie mieux canalisée : WARSAW, NO LOVE LOST, LEADERS OF MEN, FAILURES. 5000 exemplaires de ce disque seront distribués, aux frais des membres du groupe, sous le titre AN IDEAL FOR LIVING.

De Warsaw à Joy Division

Leur dernier concert sous le nom de WARSAW a lieu le 31 décembre 1977 à Liverpool. Le groupe se dénommera désormais JOY DIVISION, en référence aux convois de prostituées qui suivaient les soldats allemands durant la Seconde Guerre Mondiale, dont la vie est relatée dans le roman THE HOUSE OF DOLLS, que plusieurs membres du groupe ont lu.

Le premier concert de JOY DIVISION se déroule au Pip's le 25 janvier 1978.
Le 14 avril, un concours auquel participent 17 groupes locaux est organisé au Rafters Club de Manchester, par deux labels indépendants londoniens : il s'agit du Stiff test/Chiswick challenge. JOY DIVISION y fait forte impression, notamment sur le célèbre Tony WILSON, présentateur de l'émission rock SO IT GOES sur la chaîne locale GRANADA TV.

Rob GRETTON, disc-jockey au Rafters et manager du groupe THE PANIK, est enthousiaste et il deviendra le manager de JOY DIVISION dès le mois de mai. À ce moment est aussi créé le label FACTORY dirigé par Tony WILSON qui ne veut pas perdre JOY DIVISION dont le potentiel s'exprime de mieux en mieux. En outre, le producteur Martin HANNETT, chimiste de formation et à qui les BUZZCOCKS doivent leur premier 45 tours, en janvier 1977, SPIRAL SCRATCH, décide de travailler avec Ian CURTIS et ses amis.

L'ascension de Joy Division

Désormais, JOY DIVISION sait utiliser l'énergie du punk pour exprimer des émotions complexes. Le groupe effectue une prestation sur Granada TV dans l'émission de Tony WILSON en septembre.

En octobre, la compilation A FACTORY SAMPLE marque la première collaboration entre Martin HANNETT et JOY DIVISION, qui fournit deux titres : DIGITAL et GLASS.
C'est en fin d'année 1978 qu'Ian CURTIS, en proie à des crises d'épilepsie, doit observer un mois de repos.

En janvier 1979, JOY DIVISION joue dans le cadre des PEEL SESSIONS quatre titres : EXERCISE ONE, INSIGHT, TRANSMISSION et SHE'S LOST CONTROL. Les versions des trois premières chansons semblent inachevées et le résultat d'ensemble est fade.

En avril, le groupe enregistre son premier album, UNKNOWN PLEASURES. Il fourmille de trouvailles de Martin HANNETT, par exemple le bruit de l'ascenseur et les claquements de la porte du studio Strawberry. Hanté de sons spatiaux, l'album dessine les contours d'un paysage intérieur toujours d'actualité.

L'inoubliable et sobre pochette est due à Peter SAVILLE, le designer du label FACTORY. L'image représente l'explosion d'une étoile et contribue au succès de l'album, qualifié de meilleur album rock depuis L.A. WOMAN des DOORS.


La sublime pochette de l'album UNKNOWN PLEASURES

Les deux mois suivants sont consacrés à des concerts dans le cadre d'une tournée Factory avec Orchestral Manœuvres in the Dark et A certain ratio. JOY DIVISION tient la tête d'affiche lors de cette série de performances.

Le groupe doit son originalité à Ian CURTIS, tant sur le plan des compositions que pour les prestations scéniques : silhouette frêle et voix puissante, son regard habité impressionnel'auditoire.

En juin, JOY DIVISION enregistre cinq titres pour une station indépendante de Manchester, Piccadilly Radio : ATROCITY EXHIBITION, inspirée par JG BALLARD, CHANCE qui sera baptisée par la suite ATMOSPHERE, THESE DAYS, CANDIDATE et THE ONLY MISTAKE.

Début septembre, les quatre membres de JOY DIVISION quittent leurs emplois respectifs et participent au festival FUTURAMA ONE de Leeds où leur performance écrase celle des seize autres formations, parmi lesquelles figurent pourtant des « pointures » : CABARET VOLTAIRE, PUBLIC IMAGE LIMITED ou ORCHESTRAL MANŒUVRES IN THE DARK.

En octobre, JOY DIVISION participe à la tournée des BUZZCOCKS en Angleterre, en Écosse et en Belgique.

Le 26 novembre, le groupe enregistre, à l'occasion de sa deuxième PEEL SESSION, quatre titres dont TWENTY-FOUR HOURS et LOVE WILL TEAR US APART.

Le 18 décembre, JOY DIVISION se produit à Paris pour son unique concert en France. D'autres performances suivent aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne de l'Ouest.

De retour à Manchester, ils composent de nouveaux titres et programment une tournée de cinq dates dans le nord de l'Angleterre et é Londres, malgré la fatigue et les crises d'épilepsie toujours plus fréquentes d'Ian CURTIS. Les médecins lui conseillent de ne pas boire d'alcool, de dormir à des heures réguliéres et de ne pas s'exposer à des éclairages violents, autant de prescriptions incompatibles avec le mode de vie « rock ».

Fin 1979, grâce à l'entremise de Genesis P. ORRIDGE de THROBBING GRISTLE, groupe de rock industriel dont CURTIS est un fan, Jean-Pierre TURMEL, directeur du label français SORDIDE SENTIMENTAL contacte JOY DIVISION pour un concept-album mélant littérature, peinture et musique.

Le groupe accueille favorablement le projet et LICHT UND BLINDHEIT est fabriqué à 1578 exemplaires numérotés. Il est commercialisé en mars 1980, uniquement en France.

Le mois de mars voit aussi la fin de l'enregistrement des titres composant l'album CLOSER. D'aprés Steven MORRIS, les chansons sont plus abouties, le style de JOY DIVISION s'est affirmé comparativement aux titres qui constituent UNKNOWN PLEASURES.


L'album CLOSER avec la photographie choisie par JOY DIVISION

Durant la série de concerts qui suit, Ian CURTIS est sujet à des malaises de plus en plus violents et spectaculaires, dont le public croit parfois qu'ils font partie intégrante du show.

Fin tragique et dernier album : Love Will Tear Us Apart

When routine bites hard
And ambitions are low
And resentment rides high
But emotions won't grow
And we're changing our ways, taking different roads.

Le 18 mai 1980, Ian CURTIS, à la veille de partir en tournée aux Etats-Unis avec JOY DIVISION, se pend dans sa maison de Macclesfield.
En juin sort le vinyle 7 pouces LOVE WILL TEAR US APART, avec en face B le morceau THESE DAYS. La mélodie magnifique de LOVE se combine à la beauté des paroles, sur le thème d'un amour qui se meurt (encadré à gauche).

Il semble que des difficultés dans sa vie de couple et un sentiment de culpabilité dû à sa liaison avec Annik HONORE, une fan de nationalité belge, aient inspiré cette poignante chanson à Ian CURTIS, tiraillé entre deux femmes.

Factory sort l'album CLOSER en juillet au lieu du 9 mai, suite à une erreur de pressage et à un retard dans la fabrication des pochettes.

JOY DIVISION, de par ses références littéraires, et la noirceur de ses textes, a suscité d'innombrables vocations musicales. Là réside l'essentiel, bien plus important que les multiples essais d'analyse des raisons du suicide d'Ian CURTIS. Celles-ci n'appartiennent qu'à lui, le poéte qui nous a fait don de deux albums absolument magnifiques et intemporels.

Général Hiver

Notre play-list idéale de JOY DIVISION, aisément justifiable, et forcément discutable :

  • SHE'S LOST CONTROL
    Une chanson sur l'épilepsie, aux paroles très évocatrices dès les deux premiers vers :
    Confusion in her eyes that say it all
    She's lost control
  • DECADES
    Un refrain mélancolique, magnifié par la voix d'Ian CURTIS et un jeu de clavier poignant.
  • A MEANS TO AN END
    Une introduction de guitare trés puissante au tempo rapide (qui distingue ce titre des autres chansons de CLOSER) et à la guitare tranchante, réminiscence des débuts punk du groupe.
  • THE ONLY MISTAKE La basse de Peter HOOK omniprésente, la rythmique martiale et la distorsion donnent une tonalité quasiment noisy à ce titre, avec la noirceur en supplément.
  • INTERZONE (d'aprés Burroughs)
  • TRANSMISSION
    Une énergie intacte, et ce leitmotiv fédérateur hurlé par CURTIS :
    Dance, dance, dance, dance, dance to the radio
  • SHADOWPLAY
    Une mélodie ciselée et une rythmique sans faille, au service d'un texte sur la déshumanisation de l'existence moderne.
  • NEW DAWN FADES
    Une mélodie bouleversante associée à des paroles si désespérées qu'elles peuvent sembler prémonitoires :
    A change of speed,
    A change of style.
    A change of scene, with no regrets,
    A change to watch, admire the distance,
    Still occupied, though you forget.
    Different colours, different shades,
    Over each mistakes were made.
    I took the blame.
    Directionless so plain to see,
    A loaded gun won't set you free.
    So you say.

    We'll share a drink and step outside,
    An angry voice and one who cried,
    We'll give you everything and more,
    The strain's too much, can't take much more. "
    Oh, i've walked on water run through fire,
    Can't seem to feel it anymore.
    It was me, waiting for me,
    Hoping for something more.
    Me, seeing me this time,
    Hoping for something else.

Deux compilations que nous vous recommandons :


SUBSTANCE
avec une trés belle version de LOVE WILL TEAR US APART


THE BEST OF JOY DIVISION, double CD
incluant des enregistrements des PEEL SESSIONS