BLITZ!

Dossier BLITZ! Numéro 13

ROZZ WILLIAMS ET LE DEATH ROCK

Rozz Williams

Né en 1963, Roger Alan Painter est le 4ème enfant d´une famille baptiste (protestants conservateurs) établie à Pomona, dans le sud de la Californie. Eduqué comme ses deux frères et sa soeur selon des préceptes moraux stricts, il s´intéresse dès l´âge de 9 ans à la musique, en écoutant notamment les œuvres de David Bowie, Roxy Music, T-Rex, Alice Cooper, Iggy Pop, The New York Dolls. Plus tard, il citera aussi les Cramps parmi ses influences majeures, même s´il n’aime pas leur musique rockabilly.

Puis, à l´adolescence, il découvre la scène punk américaine et, à l´âge de 16 ans, il crée son premier groupe, Crawlers to No, qui change vite de nom et devient The Upsetters. Chanteur et guitariste, Roger adopte le nom de Rozz Williams, qu´il a lu sur une tombe de son cimetière préféré.
The Upsetters se dissoudra sans s’être produit sur scène.

Rozz fonde ensuite The Asexuals, formation dont il est le chanteur, le guitariste et le préposé aux claviers. Ses deux acolytes se nomment Jill Emery (basse) et Steve Darrow (batterie). Ils ne participent à aucun concert officiel, n´apparaissant que dans quelques soirées.

Après The Asexuals, Rozz lance un nouveau projet, Daucus Karota, dans lequel il participe en tant que chanteur, aux côtés de Jay (guitare) et Mary Torciva aux percussions. Un album, intitulé « Shrine », verra le jour beaucoup plus tard, en 1994.

En octobre 1979, nous retrouvons Rozz et Jay dans leur nouvelle formation, dont le nom, Christian Death, est une déformation du nom du styliste de mode français Christian Dior. James McGearty est le bassiste et leur présente George Belanger qui devient le batteur du groupe.

Comment décrire leur musique ? Elle emprunte sa noirceur au rock gothique européen, sur des rythmiques punks, loin de la new wave et plus encore de la pop music. Pour qualifier le style musical de Christian Death, Rozz parle de catastrophe ballet et ne souscrit pas à l’étiquette gothique que lui attribuent trop fréquemment les media.

Leur première apparition sur scène a lieu au Hong Kong Cafe de Los Angeles, avec le célèbre combo batcave .45 Grave. Cette prestation attire vers Christian Death un public assez nombreux qui laisse espérer un avenir intéressant pour le groupe.

Malgré ce succès naissant, le groupe se sépare brièvement en 1981 car Rozz lance, avec Ron Athey, un nouveau projet : Premature Ejaculation.

Ils se décrivent comme de « véritables punks romantiques », mais trouvent difficilement des salles pour accueillir leurs performances live. Il est vrai que, lors de l´une d´elles, Ron Athey commence à manger un chat mort, qu´il régurgite ensuite... Au lieu de jouer sur scène, le duo enregistre des cassettes, très expérimentales, à son domicile.

Eté 1981 : sur proposition de George Belanger et James McGearty, Rikk Agnew, ex-guitariste de The Adolescents, remplace Jay au sein de Christian Death.

Christian Death, Only Theatre Of Pain

En mars 1982, leur premier album, intitulé « Only Theatre Of Pain », sort chez Frontier Records. Eva O. et Ron Athey assurent les chœurs. La pochette est dessinée à la main par Rozz Williams.

Cet album comporte trois superbes pépites sombres : « Deathwish », « Romeo´s Distress » et « Spiritual Cramp ». Lors d’une émission consacrée à l’influence du satanisme dans le rock diffusée sur une chaîne de télévision religieuse que les parents de Rozz Williams regardent parfois, plusieurs exemplaires du disque sont détruits devant la caméra.

Christian Death, Deathwish

La chanson « Dogs », quant à elle, figure aussi sur une compilation dénommée « Hell Comes To Your House », ce qui vaut au groupe une notoriété croissante. Ces quatre titres feront partie du maxi « Deathwish », sorti en 1984 sur le label du Français Yann Farcy, L´invitation au suicide.

Les paroles de « Deathwish » et de « Romeo´s Distress », qui demeure leur morceau le plus célèbre, méritent que nous nous y attardions quelques minutes. La première traite de la perte de l´innocence et de la volonté de mourir. Dans « Romeo´s Distress » apparaissent d´autres composantes de la sensibilité de Rozz Williams : le rôle purificateur du feu, la Passion du Christ, le sexe, la lassitude de vivre.
Toutefois, les visées profondes de Christian Death sont iconoclastes et subversives : il s’agit de briser les tabous, et en particulier ceux qu’impose la religion. Le nom du groupe n’a pas été choisi par hasard.

Deathwish (composé par Christian Death)

  • I see the end, I see the end
  • Well, it was open so I crawled inside
  • Someone up ahead was cryin´
  • Someone up ahead was dyin´
  • Lost in the darkness, lost in today
  • When you can only lose it to your mind
  • You got to lose it to your mind
  • Waves an´ waves of tranquility hit hard on your innocence
  • Well, discarding all that was before, let´s crawl inside
  • La virginal souls devoured without shame
  • We lick our lips clean, so clean
  • An´ no one outside knows
  • No one outside knows what it means
  • To me, to be set free
  • When you can only lose it to your mind
  • You got to lose it to your mind
  • Waves an´ waves of tranquility hit hard on your innocence
  • Well, discarding all that was before, let´s crawl inside

Christian Death : Romeo´s Distress

  • Burning crosses on a nigger´s lawn
  • Burning dollars, what´s a house without a home ?
  • Dance in your white sheet glory
  • Dance in your passion
  • Talk about sugar on the six fingered beast
  • Conversations about the holes in your hands
  • Walk through the garden of man´s desire
  • Conversation about the kingdom of fire
  • Conversation about the kingdom of fire
  • What´s that moving in the basement ?
  • What´s that moving in the attic ?
  • Who´s that walking in the shadows ?
  • Who´s that walking in the streets ?
  • Kiss on my hand after dark
  • Hand for a kiss after dark
  • Kiss on my hand
  • A kiss on my hand
  • A kiss on my hand
  • Romance in sequence harmful to the blind
  • Burning hearts through the top of your skull
  • Dance in your white sheet glory
  • Dance in your passion
  • Your days are numbered with creations in your pocket
  • Your days are numbered with the love in your eyes
  • Love in your eyes
  • Love ?
  • What´s that moving in the basement ?
  • What´s that moving in the attic ?
  • Who´s that lying on the altar ?
  • Who´s that lying in the streets ?
  • A kiss on my hand after dark
  • Hand for a kiss after dark
  • Kiss on my hand
  • A kiss on my hand
  • A kiss on my hand
  • A kiss on my hand
  • Pull down the sheets and take off your clothes
  • Get out of bed, I´m so tired, I´m so tired
  • Pull down the sheets and take off your clothes
  • Get out of bed, I´m so tired, I´m so tired
  • I´m so tired

Fin 1982, Rikk Agnew et George Belanger sont respectivement remplacés par Eva O. (guitare, chœurs) et « China » à la batterie.

Les shows de Christian Death deviennent plus élaborés. Sur scène, le groupe va très loin et affiche une théâtralité féroce et nouvelle pour le public américain. Rozz arrive parfois sur scène en robe de mariée ou s´attache à une croix. Plusieurs dates de concerts sont annulées, en raison du mécontentement virulent de certains chrétiens.

Michael Montana remplace Eva O. et le groupe se sépare de nouveau fin 1982, suite à des problèmes de drogue notamment.

En 1983, Rozz crée une nouvelle formation avec des membres de Pompeii 99, avec lesquels Christian Death avait joué plusieurs fois avant la séparation. Ainsi, le nouveau line-up se compose de Rozz, Valor à la guitare, Gitane Demone (claviers et chœurs), David Glass (batterie) et Constance Smith à la basse. Malgré le souhait de Rozz Williams de l´appeler Daucus Karota (personnage tiré du livre « The Drug Experience »), le groupe conserve, à l´initiative de Yann Farcy et Valor, le nom Christian Death. Une convention signée par tous les musiciens du groupe leur donne un poids égal mais les contraint à renoncer à leurs droits s´ils refusent de se plier à leurs obligations.

Le premier concert européen de Christian Death a lieu aux Bains Douches, à Paris, le 12 février 1984. La tournée se poursuit jusqu´en juin.

Leur nouvel album, « Catastrophe Ballet », est enregistré au Pays de Galles pendant l´été 1984. Rozz Williams y intègre ses nouveaux centres d´intérêt, Dada et le Surréalisme, au point de dédier l´album à André Breton. Constance Smith est remplacée par Dave Roberts à la basse.
On y trouve les excellents « The Drowning » et « Evening Falls », où la voix de Rozz Williams crée des ambiances tantôt oppressantes, tantôt élégantes et sereines.

Christian Death, Ashes

En 1985, l´album « Ashes », dont les enregistrements se sont déroulés en automne 1984, comporte plusieurs invités : Randy Wilde (basse), Eric Westfall (violon, accordéon, synthé), Sevan Kand (pleurs), Bill Swain (tuba), Richard Hurwitz (trompette) et Michael Andreas (clarinette).

L´émouvant morceau « The Luxury Of Tears », qui immerge l´auditeur dans un univers fantastique, et l´inquiétant « Of The Wound », bande-son d´un cauchemar éveillé, avec grincements de portes et cris de sorcières, sont les deux plus remarquables titres de cet album.

Dans le cadre de la tournée qui suit est organisé un spectacle multimédia (films, banquet et musique), intitulé « The Path Of Sorrow », au Roxy Theatre de Los Angeles, le 6 avril 1985. Il a été précédé d´un concert au Hollywood Berwin Entertainment Center, sorti en cassette sous le titre « The Decomposition of Flowers ».

En 1985, après une longue période de tension, Rozz Williams quitte Christian Death, qui déménage en Angleterre et continue à enregistrer et se produire sur scène jusqu´en 1988, année du départ de David Glass. Gitane Demone se retire de Christian Death peu après, ce qui laisse Valor seul maître à bord à compter de 1989.

Rozz Williams se consacre ensuite à plusieurs projets plus expérimentaux, tels que The Happiest Place on Earth et Premature Ejaculation avec Chuck Collison. Les concerts donnent lieu à des scènes surprenantes : de la viande et des globes oculaires d´animaux morts sont parfois lancés par les musiciens en direction des spectateurs.

Shadow Project

En 1987, Rozz épouse Eva O. Ils forment, avec Barry Galvin, David Glass et Johann Schumann à la basse, le groupe Shadow Project, dont le nom évoque la bombe d´Hiroshima, qui laisse des impressions d´ombres sans cadavres... Le premier album, sobrement intitulé « Shadow Project », est une belle réussite du genre death rock, avec notamment l´excellent « Into the Light ». Les deux autres albums, « Dreams for the Dying » (1992) et « From the Heart » (1998), comportent des morceaux plus expérimentaux et couvrent plusieurs genres, du punk (voire métal) au glam dans la lignée de David Bowie et Roxy Music.

Par ailleurs, Rozz s´intéresse à cette époque au criminel américain et gourou Charles Manson.

Entre 1988 et 1990, Rozz, Eva, Rikk Agnew, Casey (basse) et Cujo (batterie) jouent en concert aux Etats-Unis, eux aussi sous le nom de Christian Death. Avec son épouse Eva O., il enregistre même de nouvelles chansons, ce qui provoque la menace de Valor d´intenter une action en justice. En conséquence, les enregistrements de cette période seront finalement publiés sous le nom « Christian Death featuring Rozz Williams ».

1992 : le premier album parlé de Rozz, « Every King A Bastard Son », sort, ainsi que deux nouveaux albums en studio de Christian Death : « The Path Of Sorrows » et « The Rage Of Angels ».
Le premier des ces deux disques est, selon ses propres termes, le préféré de Rozz. L´une des chansons du second est dédiée à Jeffrey Dahmer, tueur en série nécrophile et cannibale, qui fascine l´artiste.

Christian Death, Iconologia

En juin 1993, au Los Angeles Patriotic Hall, a lieu le dernier concert de Christian Death avec Rozz Williams, entouré de Rikk Agnew, George Belanger et Casey à la basse.
Le CD « Iconologia » et une vidéo live sont enregistrés lors de cette performance.

Après une tournée estivale américaine de Shadow Project, les départs simultanés d´Eva O. et de Paris Sadonis (claviers) marquent la fin officielle de ce groupe. Toutefois, Rozz décide de maintenir la tournée en Allemagne. Assurant les vocaux, il s´entoure donc de Brian Butler (guitare), Mark Barone (basse) et Christian Izzo (batterie) et change le nom du groupe en Daucus Karota. Un maxi vinyle de Daucus Karota, « Shrine », est enregistré en 1994. En novembre 1994, le groupe part en tournée européenne pour un mois, avec Gitane Demone. Un des concerts, joué à Amsterdam, est dédié à Jeffrey Dahmer qui vient d´être mortellement passé à tabac en prison par un autre détenu.

Fin 1994, sous le nom d´Heltir, Rozz sort un CD intitulé « Neue Sachlichkeit », suite de collages industriels bruitistes et par conséquent d´écoute difficile.

Rozz Williams, Dreamhome Heartache

Le projet suivant sera plus accessible. En avril 1995, Rozz et Gitane Demone sont à Gent (Belgique) pour l´enregistrement du superbe CD « Dreamhome Heartache ». Il est produit par Ken Thomas qui a collaboré, entre autres, avec David Bowie (« Hunky Dory ») et Death in June (« But, what ends when the symbols shatter »).

Les morceaux « In Every Dream Home a Heartache » (reprise à l´orchestration glaciale d´un titre de Bryan Ferry, où Gitane Demone assure des chœurs bouleversants) et « Flowers », considéré par beaucoup de fans comme la chanson-testament de Rozz Williams, dominent l´ensemble par leur raffinement. Rozz et Gitane jouent ensuite plusieurs concerts, notamment à Londres en avril 1996.

Rozz Williams, The Whorse's Mouth

En 1996 aussi sort le deuxième album parlé de Rozz, intitulé « The Whorse´s Mouth », dédié à Jean Genet et plus mélodieux que la première tentative de spoken words de l´artiste. Il est écrit par Brian Gaumer (chœurs), qui partageait sa chambre avec Rozz durant leur pire période de dépendance à l´héroïne. L´artwork est principalement composé de collages réalisés par Rozz et Eric Christides, son meilleur ami.

Un autre CD sort sous le titre EXP, où Rozz joue de la basse, en compagnie de Paris, Ryan Gaumer et Ace Farren Ford.

En 1997, Eric Christides se suicide. Un concert lui est dédié le 6 janvier 1998 au Perversion, à Los Angeles. Ce sera la dernière apparition sur scène de Rozz Williams.

En effet, le 1er avril 1998, il met fin à ses jours en se pendant chez lui, à West Hollywood. Il ne laisse aucun document qui pourrait expliquer son geste. Ses proches ont seulement indiqué que cette date revêtait une très forte signification symbolique pour lui.

Christian Death, Death Club

En 2005, le label américain Cleopatra Records publie une compilation CD/DVD de Christian Death, intitulée « Death Club », qui couvre les années 1981 à 1993. Le CD comprend 14 titres, parmi lesquels des extraits de « Only Theatre Of Pain », en particulier les excellents « Deathwish » et « Romeo’s Distress », mais aussi une reprise de Lou Reed (« Venus In Furs »), une version « Cruciform » époustouflante de « The Angels » (sur laquelle William Faith tient la basse), et un spoken word sobrement intitulé « Psalm (Maggots Lair) ».

Il se termine par une interview, non datée, de Rozz Williams. À noter que sur le site Internet d’une société de vente par correspondance mondialement connue, un dénommé Johnny Daggers signale qu’il a conduit cette interview pour Golgotha Magazine, et que Cleopatra Records l’a publiée sans son autorisation et en l’absence de toute compensation financière.

Pour sa part, le DVD propose un concert du 14 janvier 1990 à la Mason Jar, une célèbre salle de Phoenix, Arizona. Le son est d’assez bonne qualité et l’image correcte, mais Rozz Williams et surtout Eva O. semblent particulièrement fatigués. Puis, lors d’une interview, Rikk Agnew retrace l’histoire de Christian Death de l’intérieur.

Enfin, le DVD comporte une performance enregistrée en 1984 pour la chaîne de TV Media Blitz, suivie d’une brève interview durant laquelle Rozz Williams précise que la sexualité est le concept fondateur de Christian Death. La qualité de l’image est médiocre, mais les versions de « Cavity – First Communion » et « Romeo’s Distress » sont excellentes.

Rozz Williams, Sleeping Dogs

En 2013, le label américain Cult Music (Dark Vinyl pour l´Europe) a sorti une compilation intitulée « Sleeping Dogs », à l´occasion du 50ème anniversaire de la naissance de Rozz Williams. Les excellents « Hall Of Mirrors » et « 2nd Step » y figurent, ainsi qu´une version dark folk de « Flowers ».

Expérimentateur au talent polymorphe, esprit cultivé et poète maudit, Rozz Williams a marqué durablement de son empreinte le rock indépendant, tant au sein de Christian Death que dans ses projets solo.

Voici venu le moment de refermer ce dossier, en citant les deux premiers vers de « Flowers » :

  • This is my favourite sad story,
  • Forget me not or I´ll forget myself

Mr. Williams, be sure we will never forget you!

Général Hiver